Encore une célébration d’une journée mondiale : « vade retro mauvaise langue ! ». « Pas touche, et bas les sales pattes ! ». La journée mondiale du « lavage des mains avec du savon », du sérieux, une campagne voire une œuvre de salubrité publique, une mission qui interdit toute raillerie. 
Seulement on y consacre des crédits de montants si élevés à cet effet que l’opinion publique est en droit d’en attendre des résultats à l’aune des budgets alloués. Qu’importent les origines du financement, le peuple mérite d’être informé afin de pouvoir apprécier l’utilisation des crédits obtenus en son nom. Certes les responsables des organismes ou organisations en charge des projets ne manquent pas à leur devoir de dresser des bilans financiers et un rapport moral sur les actions entreprises. Il ne s’agit pas de mettre en doute la bonne foi de ces bonnes gens de bonne volonté qui réalisent des projets sociaux financés sur fonds publics. Il va de soi qu’en réagissant de façon naturelle ces responsables ont d’avantage inclination à mettre l’accent sur les difficultés de la mission et comme tout être humain à transmettre une vision sinon optimiste du moins pleine de tolérance concernant les résultats, et encore plus lorsqu’il s’agit de l’activité, raison d’être de l’organisation dont on a la charge, et parfois source de revenus personnels. Dans l’établissement d’un rapport une honnêteté irréprochable de rigueur et reconnue ne suffit pas nécessairement à garantir d’une objectivité sans faille.
Le bilan matériel relève le plus souvent des indices encourageants quant à une appropriation progressive du réflexe de lavage des mains par les élèves : la consommation de savon correspond à la norme, chaque visite inopinée surprend l’existence de serviette propre et du seau d’eau au seuil de la porte de classe, à disposition des élèves qui reviennent des toilettes. Rapport bureaucratique. Il en va différemment dans la réalité. Les enseignants eux-mêmes ne sont pas tous imprégnés de l’efficacité de la campagne et certains avec la complicité des élèves préparent tout un scénario à monter en spectacle à chaque passage de tout visiteur que celui-ci vienne ou non pour contrôler l’application du « lavage des mains ».
Entre l’objectif de cette campagne et les conditions dans lesquelles vivent les élèves des écoles primaires publiques existe un tel décalage que l’on peut s’interroger sur l’hypothèse d’une conception purement technocrate du projet « lavage des mains avec du savon » dès qu’il faut essuyer avec une serviette propre. Difficile de réussir à inculquer ce réflexe comme une nécessité chez des enfants qui évoluent au quotidien dans des conditions où l’hygiène n’a de sens que lorsqu’on peut, et ici à cet effet on peut peu, très peu même. L’eau potable des bornes fontaines n’est pas toujours accessible au pouvoir d’achat de ceux qui peinent à calmer la faim, le savon un produit rare, le sommeil sur des couches douteuses, la toilette du matin sommaire avec le minimum d’eau sans savon ni serviette pour s’essuyer, les vêtements de nuit les mêmes que l’on a traînés sur soi des jours durant, et le tout à l’avenant en totale contradiction avec le lavage des mains considéré comme un luxe qui présente moins d’attrait que la floraison de babioles et gadgets porteurs d’une note de modernisme.

Léon Razafitrimo