Les questions d’insécurité occupent de moins en moins de place dans les conversations, elles préoccupent peut-être moins que les difficultés de la quotidienneté. Mais l’insécurité conditionne aussi l’environnement quotidien, pourrait-on faire remarquer, ce qui n’est pas faux. Cependant  le manque et toutes sortes de privation en appellent à chaque instant à l’instinct de survie, alors que l’insécurité même si elle plane sur tous en manifestant de plus en plus sa présence, les gens préfèrent la vivre comme s’il s’agissait d’une menace virtuelle qui ne frappe qu’au hasard du mauvais sort de chacun. L’insécurité est une réalité certes, mais chacun s’illusionne sur une chance comme à la loterie, à la différence qu’en ce domaine il s’agit de ne pas tirer le mauvais numéro. A l’inverse les privations et autres sacrifices, quelle que soit l’appellation dont on les affuble, n’épargnent qu’un petit nombre de privilégiés, pas les pauvres, et ce ne sont pas les pauvres qui manquent dans le pays.
L’insécurité demeure pourtant un vrai problème, la violence augmente en puissance, la brutalité accompagne les actes qui n’auraient pu être que des faits de la petite délinquance sans les formes de barbarie. Ces actes se multiplient, c’est ce que sociologues et responsables de l’ordre constatent en qualifiant cette situation de recrudescence de la délinquance, mais il ne s’agit plus de simple délinquance, la délinquance a versé dans les procédés du « grand banditisme ». Les auteurs d’infractions nocturnes, et parfois au grand jour, n’opèrent plus les mains nues, presque tous se prémunissent d’armes, et si les plus mal lotis d’entre ces voyous ne se chargent que d’armes blanches, leur détermination à les utiliser ne s’en trouve pas d’autant réduite. Cette semaine une bande de barbares a pénétré de nuit chez des particuliers (pas spécialement fortunés, mais sur cette question tout est relatif, à chacun ses riches) et pour avoir planté une lame dans le gras du flanc de l’un des grands ados de la maisonnée, ils ont pu arracher du père de famille sans perdre du temps, le secret où celui-ci cachait la cassette de ses économies. Le gang a fondu dans la nuit (à peine 20 heures dans un quartier populeux) emportant un peu moins de 500.000 ariary. Grand émoi dans la population environnante, mais l’émotion n’est que passagère, et la fureur de l’instant ne refait surface que lorsque les circonstances en donnent l’occasion pour un déchaînement lors d’une vindicte populaire. Dans le principe on peut qualifier d’intolérables ces réactions de foule, dans la réalité on ne peut que les accepter comme des réponses à une situation de fait. La population s’est fait un jugement sur l’incapacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité des personnes et des biens, et elle a le sentiment que ça va de mal en pis. Les réactions du public sont partagées entre le gros rire et la rage de dépit à l’écoute de l’un ou l’autre de ces hauts gradés qui trouvent le temps à tenir des laïus plus souvent teintés de politique voire de menaces, que destinés à rassurer la population et à terroriser ceux qui entretiennent le climat de terreur. Parfois l’impuissance face aux véritables ennemis conduit à se créer des adversaires que l’on pense combattre plus facilement. C’est oublier un peu vite que les faits sont têtus et que l’opinion possède une mémoire, aussi dangereuse qu’elle manifeste une inclination à être sélective.

Léon Razafitrimo