Il est temps de remédier à la vérité vraie et votre serviteur se trouvait au premier plan ce jour-là, de la place du 13 mai jusqu’au devant du Palais d’Ambohitsorohitra. Après le premier tir venant du Palais, puis le staccato d’un fusil d’assaut, nous avons vu de nos propres yeux tomber les premières victimes dont le journaliste Ando de la Rta ! 

Jean Luc RAHAGA – Directeur de la publication

C’était un samedi bien ensoleillé et comme à l’accoutumée, de nombreux journalistes se sont donné rendez-vous pour couvrir la grève sur la place du 13 mai d’Analakely. L’Hôtel de Ville était encore dans sa phase de reconstruction et l’estrade pour les orateurs du mouvement orange se trouvait juste devant une barrière faite de tôles de couleur grise et verte.  Votre serviteur était un journaliste du quotidien La Vérité et s’occupait seul de la rubrique économie. Mais comme mes boss de l’époque étaient de très grands noms du journalisme – Rolly Mercia était le directeur de la publication et Maka Alphonse, le directeur de la rédaction – il m’arrivait souvent de procéder à la couverture des événements politiques, c’est-à-dire d’être sur le terrain. Sur cette place mythique des révolutions de la Grande île, nous étions deux à être présents pour le compte de notre journal de l’époque : moi et Mika Rakoto-Ramambason, le photographe.
Ce jour-là, il fut question de nommer le Premier ministre de la transition et le choix du meneur du mouvement, Andry Rajoelina – le maire de la Capitale -, s’est dirigé sur le président du parti Monima Ka Mivimbio, Monja Roindefo. Pour les journalistes, ce choix est logique et décisif même s’il n’a pas été vraiment salué par la foule présente sur le lieu puisque c’est le fils du célèbre Monja Jaona, un des plus grands nationalistes de Madagascar et de tous les temps. Andry Rajoelina, le président de la Haute Transition, a aussi arrêté que le bureau du premier ministre sera le Palais d’Ambohitsorohitra qui appartient effectivement à la Mairie d’Antananarivo depuis 1999.

La main de Dieu
Rappelons que  c’est le président Didier Ratsiraka qui l’a octroyé à la Commune urbaine d’Antananarivo puisque cette dernière n’a plus d’Hôtel de ville depuis son incendie le 13 mai 1972.  Ainsi, la foule, composée de plusieurs dizaines de milliers de personnes, s’est dirigée vers Antaninarenina afin que le nouveau Premier ministre puisse en prendre possession. Le premier barrage se situait  justement sur l’escalier d’Antaninarenina mais à la vue de ce beau monde, les forces de l’ordre ont préféré se repositionner entre le bâtiment de l’Office national de l’environnement et l’ancien magasin Champion. Monja Roindefo était arrivé sur un 4×4 pick-up avec l’animateur du mouvement, le chanteur Yvon Sareraka, ainsi que quelques parlementaires qui se sont ralliés au mouvement. Les négociations ont, par contre, été conduites, par le Général Dolin en compagnie de ces derniers et ça a duré des heures.  Bien sûr, les militants ont chanté à tue-tête la tube « Iny lalany iny » pendant que les journalistes ont pu traverser les lignes comme bon leur semble. Un peu plus tard alors que le soleil tapait dru sur nos têtes, cette délégation est partie vers l’entrée du Palais en question pour discuter avec d’autres militaires qui se trouvaient à l’intérieur tandis que nous, nous nous sommes tous assis sur le gazon du milieu de cette rue, cette fois-ci donc, entre la Paierie Générale et le ministère des Finances et du budget. Par la suite, cette délégation, toujours dirigée par le Général Dolin accompagné par des députés en écharpe, s’est déplacée pour se  mettre du côté de la Banque centrale. A ce moment précis, Dominique R., un journaliste du quotidien, m’a dit : « Maintenant, on va aller à l’Hôtel Colbert » ! C’est la « main de Dieu » pour moi, même si beaucoup font allusion avec celle de Diégo Armando Maradona.

Marche crocodile
Comme dans un mouvement synchrone, les militaires du barrage ont lâché la foule tandis que cette dernière avançait en courant. 15 secondes plus tard alors que nous étions à 10 mètres de la porte de l’hôtel en question, un premier tir est venu du Palais, suivi d’un staccato d’une arme automatique puis de plusieurs rafales de fusils d’assaut. Je me suis retourné et là où nous étions assis 15 secondes plus tôt, deux corps gisaient dans une mare de sang. En un clin d’œil, la porte de l’Hôtel Colbert s’est refermée mais heureusement pour nous, d’autres journalistes nous ont déjà devancé sur le lieu et ont négocié pour nous laisser entrer. J’ai vu de mes propres yeux aussi Ando, le jeune cameraman de la Rta dont le visage baignait déjà dans le sang et dont le corps était transporté par quelques personnes tandis que son collègue de travail, Heritiana Ny Anjarason, pleurait à chaudes larmes tout en criant que Ando a été tué ! Beaucoup d’entre nous ont remarqué la marche « crocodile » rasant le sol d’Etienne … alors qu’il avait déjà une balle à l’épaule tandis que Njaka Andriamahery de la Tv Plus se dissimulait derrière un petit mur du jardin en essayant de nous rejoindre dans l’hôtel. Miracle : On était sidéré de voir une dame qui, après les premiers tirs, s’est relevée et n’avait que quelques égratignures causées par sa glissage sur le sol. Je ne connaîtrai jamais son nom mais elle nous a rejoints en trottinant sur ses chaussures cassées ! Dans un premier temps, on nous a dit que d’autres journalistes seraient aussi tombés et c’est à ce moment que je me suis rendu compte que Mika, notre photographe, n’était pas avec moi ! La peur m’a envahi et j’étais terrassé puisque son téléphone ne marchait pas non plus. Tout en essayant de le rappeler plusieurs fois, j’ai commencé à faire le tour de l’Hôtel Colbert parce qu’on m’a dit que d’autres groupes de journalistes sont entrés par une autre porte. Mais point de Mika ! Tordu de douleurs à ce qui pourrait lui arriver- Mika n’est pas pour moi uniquement un collège de travail, plus qu’un ami d’autant que nous avons construit ensemble le desk de Viva Tv, avec d’autres journalistes dont Heninkaja Rakotomanantsoa (I-Bc), Sandra Rabearisoa (actuelle rédactrice en chef de La Vérité), et entre autres, Patricia Ramavonirina (La Vérité) – je me suis résolu à sortir du « havre de sécurité » pour aller le chercher et où qu’il soit.

EmmoNat
Lors d’une petite accalmie des tirs, j’ai ainsi pris cet énorme risque, et ce, en sachant que les alentours d’Antaninarenina sont bouclés par d’autres militaires dont on ne sait quels sont exactement leurs objectifs ? Il serait alors difficile, voire impossible, de faire le tour d’autant que les tirs en rafale ont repris dans les minutes qui suivaient mon départ. A ce moment, les sources d’informations que nous avons pu avoir sont celles distillées par une équipe de la radio Viva – dirigée par Rolly Mercia – qui traite en direct l’événement et dont la base se trouvait à quelques mètres du Palais d’Ambohitsorohitra, plus exactement au restaurant Le Buffet du jardin en face du siège du ministère des Postes et des télécommunications. Je savais, par conséquent, qu’un groupe de photographes de quelques quotidiens se trouvait du côté de la Pharmacie Pergola, là justement où un camion militaire plein d’éléments de l’EmmoNat essaie d’entrer. Et là, j’ai fini par trouver Mika. Ensemble, nous avons décidé de quitter les lieux en prenant de nouveau l’escalier d’Antaninarenina, la seule issue pour la foule, où nous avons constaté de nombreux  morts et blessés. Bizarrement, les militaires ont suivi les gens qui battaient en retraite vers la Place du 13 mai, et ce, en tirant en l’air.
En conclusion, non seulement Marc Ravalomanana n’a pas rendu à la Commune urbaine d’Antananarivo le Palais d’Ambohitsorohitra, ni lorsqu’il occupait la fonction de président de la République – en 2002 – ni quand Andry Rajoelina a été élu maire de la Capitale en 2007, mais pour le  garder, son régime a tué le 07 février 2009.

J.L.R