La population manifeste des accès d’ulcère, elle digère mal les effets retards des élections passées. Elle exprime une désaffection par un taux de plus en plus faible de participation aux consultations populaires. Elle est guérie des élections. Etre guéri des élections dit tout l’euphémisme pour souligner une profonde crise de démocratie. Le symptôme alerte puisque l’abstention constitue l’unique manière de dire son opposition au système, dans un schéma de démocratie représentative. 
Les électeurs ont le choix autant pour dire leur désapprobation aux méthodes que pour signifier un désaveu à l’endroit de toute la classe politique, soit par une abstention active en se déplaçant et en votant blanc ou nul, soit par une abstention passive, en boudant tout simplement les urnes, ce qui n’a pas toujours une signification de passivité.
Les manifestations de l’ulcère clament qu’il n’est pas seulement question d’une humeur passagère mais d’un rejet. On assiste  en même temps qu’à une tentation grandissante de désertion des bureaux de vote, à une mauvaise volonté propre à saper la base même de la tenue d’élections fiables, la confection des listes électorales à partir du recensement. Le recensement requiert une participation de la population, les agents rencontrent de plus en plus porte close à leur démarche, alors que la Commission Electorale Nationale Indépendante a adopté une autre approche en confiant la tâche à des agents indépendants des Fokontany qui peuvent abriter sinon des clivages au moins des dissensions.  
Lorsque la Croix-Rouge s’est investie dans une campagne pour sensibiliser la population à assumer de manière responsable son droit civique et son obligation citoyenne de participer au vote, on aurait pu se demander « mais qu’est-ce qu’elle vient faire là celle-là ? Son rôle n’est-il pas de porter secours aux faibles et aux blessés lorsque surviennent les catastrophes ? ». Sauf respect pour la sensibilité voire la susceptibilité de tout un chacun, elle serait tentée de rétorquer que, tellement repliés sur un dégoût de la politique telle qu’on la malmène, nombreux sont aveuglés pour se rendre compte que la démocratie est malade, et puisque le système est basé sur elle, c’est la patrie qui est en danger.
A la décharge de l’électorat, on ne peut pourtant ignorer les profondes imperfections dans les organisations des élections qui se sont succédé. Ceux qui ont clamé que les élections sont par essence une trahison, ont certainement eu tort, on ne peut pour autant nier que les élections peuvent prêter à une vaste escroquerie voire à un hold-up sur la volonté du peuple. La contribution de la communauté internationale, l’indépendance d’une commission électorale nationale devraient rassurer partiellement sur ces risques dans le cas de figure actuel. Pourtant dans un système de démocratie seulement représentative, et alors que les promotions successives de candidats n’ont pas toujours manifesté une élévation à l’aune de ce que peuvent attendre les citoyens, la confiscation des voix abstentionnistes ne produit naturellement d’effet qu’à entraîner de plus en plus de citoyens à tourner le dos au suffrage universel. Les exemples de représentants du peuple, élus alors que dans des bureaux de vote ils n’ont réuni que moins de 10% de participation par rapport aux inscrits, auraient pu être source d’inspiration pour les rédacteurs des textes régissant les élections.
Qui sème le vent récolte la tempête, la tempête sert sans doute les intérêts ou au moins la stratégie des acteurs de tendances adverses qui se disputent le pouvoir : à réduire la démocratie à minima ils trouvent une alliance objective. En alternance, les uns espèrent y trouver le moyen d’un passage en force, les autres en cas de défaite ne désespèrent pas d’y puiser matière à contestation. Une complicité dans le cercle vicieux des crises périodiques.

        Léon Razafitrimo